En tant que membre du Conseil de l’Europe, la Turquie est signataire de la Convention européenne des droits de l’Homme, et donc soumise à la Cour européenne des droits de l’Homme en tant que juridiction de dernier ressort.
La première intervention de la Cour dans le cas d’Abdullah Öcalan, et la seule que la Turquie ait respectée, était une demande d’urgence pour que la Turquie n’applique pas la peine de mort pendant que la Cour entendait l’appel d’Öcalan contre sa condamnation. Le premier arrêt de la Cour européenne dans l’affaire Öcalan a été rendu en 2003, et l’arrêt final de la Grande Chambre de la Cour en 2005. Avant l’un et l’autre de ces arrêts, la Turquie avait aboli l’application de la peine de mort en temps de paix et la peine d’Öcalan avait été commuée en emprisonnement à vie.
La Grande Chambre de la Cour européenne, en accord avec l’arrêt de 2003, a estimé qu’Öcalan n’avait pas bénéficié d’un procès équitable. Elle a estimé que la procédure violait les exigences de la convention pour plusieurs raisons, notamment les restrictions d’accès à ses avocats et le manque de temps pour analyser le dossier. Malgré cela, la Turquie n’a pas été contrainte de le rejuger.
Le Conseil de l’Europe ne dispose d’aucun mécanisme pour faire appliquer les décisions de sa Cour à l’encontre des pays membres, mais le Conseil des ministres, composé des ministres des affaires étrangères des pays membres, ou de leurs adjoints, peut décider de faire pression sur le pays concerné en limitant sa participation aux travaux du Conseil, voire, en dernier ressort, en l’expulsant. Il s’agit d’un long processus au cours duquel le pays fautif a de nombreuses occasions de se racheter. Il dépend également de la volonté des autres gouvernements de poursuivre le problème, ce qui dépend de considérations politiques. Il y a peu de volonté politique de donner suite au cas d’Öcalan.
La Cour européenne a également examiné le traitement d’Öcalan par le système pénitentiaire. Les requêtes introduites par Öcalan en 2003, 2004, 2006 et 2007 ont finalement abouti à un jugement en mars 2014, lorsque la Cour a estimé que son emprisonnement à vie sans aucune possibilité de libération conditionnelle constitue une violation de l’article 3 de la Convention européenne, qui stipule que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». L’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle nie le droit à l’espoir. La Turquie n’a pas donné suite à cet arrêt.
La même décision de justice a également jugé que les conditions de détention d’Ocalan avant 2009 étaient en violation de l’article 3, mais elle a estimé que les problèmes avaient été surmontés avec la construction de la nouvelle prison avec des détenus supplémentaires. Bien que l’arrêt ait été rendu en 2014, les audiences se sont terminées en mars 2012, et le jugement ne fait pratiquement aucune référence à la situation d’Öcalan depuis la visite du Comité pour l’interdiction de la torture (CPT) en 2010. Il mentionne à peine la coupure des communications avec ses avocats depuis juillet 2011.
Il a fallu sept années supplémentaires pour que l’arrêt de la Cour parvienne à l’ordre du jour du Comité des Ministres, en décembre 2021. Les député·es ont alors exhorté la Turquie à « adopter sans plus tarder les mesures nécessaires pour mettre le cadre législatif actuel en conformité avec les normes énoncées par la Cour », et ils ont invité les autorités turques à présenter un rapport d’avancement avant la fin du mois de septembre 2022. La réponse du gouvernement turc est arrivée tardivement et a clairement montré qu’il n’avait aucune intention de se conformer à la décision de la Cour et de modifier son traitement des prisonniers. Cette question devrait faire l’objet d’un suivi par le Comité des Ministres, mais celui-ci n’a montré aucune urgence à l’inscrire à l’ordre du jour.
L’acceptation formelle de la possibilité de libération conditionnelle, conformément à la Cour européenne, ne rendrait pas plus probable la libération d’Öcalan dans les circonstances politiques actuelles de la Turquie et la mainmise politique sur le pouvoir judiciaire. Le rapport officiel du Comité des ministres indique que les député·es « ont souligné, comme l’a également fait la Cour européenne, que l’introduction d’un mécanisme de révision implique la possibilité de demander une libération conditionnelle après une certaine durée minimale de détention, mais pas nécessairement d’être libéré si les autorités judiciaires compétentes concluent que la personne concernée représente toujours un danger pour la société ». Cependant, le symbolisme consistant à enfermer quelqu’un et à jeter la clé est très puissant.
Les avocats d’Öcalan ont souligné que les conditions mises en place pour Öcalan sont devenues un modèle pour les mauvais traitements infligés à d’autres prisonniers.Les député·es ont également demandé à la Turquie de les informer du nombre total de personnes qui purgent actuellement des peines de prison à vie irréductibles. (Nous n’avons pas de chiffres exacts, mais il y en aurait eu environ 2 500 en 2014).
En 2011, les avocats d’Öcalan ont introduit une demande urgente auprès de la Cour européenne en raison du refus de la Turquie de leur accorder l’accès à leurs clients. Il a fallu huit ans à la Cour pour entamer la procédure de demande de réponse à leurs accusations auprès du gouvernement turc. L’affaire est toujours en cours.
En novembre 2022, la Cour européenne a accepté d’entendre l’affaire présentée par les avocats d’Öcalan contre la Grèce. Les avocats soutiennent que la Grèce a violé la Convention européenne des droits de l’Homme en remettant Öcalan aux autorités turques en 1999.