Vigie À Strasbourg

COMITÉ POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE

Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) est un organe d’experts rattaché au Conseil de l’Europe qui surveille le traitement des personnes en détention. Ils ont le droit unique de visiter les lieux de détention dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et de s’entretenir en privé avec les détenus. Les visites du CPT constituent la base des rapports qui sont adressés à l’Etat concerné. Ceux-ci sont généralement publiés avec la réponse de l’Etat aux conclusions et recommandations, bien que la publication se fasse à la demande de l’Etat concerné et qu’il n’y ait aucune obligation de mettre le rapport à la disposition du public. Entre ses visites, le CPT tente de donner suite à ses recommandations en dialoguant avec les représentant·es  de l’Etat. Le CPT est régulièrement mis au courant par les avocats d’Öcalan, qui estiment que l’organisation pourrait être beaucoup plus stratégique et énergique pour pousser la Turquie à adopter les recommandations issues de ces visites.

Le CPT a effectué neuf visites à la prison de İmralı, à partir de mars 1999, deux semaines après la capture et la détention d’Öcalan.

Dès le début, ils se sont inquiétés de l’isolement d’Öcalan et du manque de contact avec les autres prisonniers. Après cette première visite, ils ont averti que « des mesures supplémentaires sont nécessaires pour contrer les effets potentiellement négatifs sur la santé mentale de M. Öcalan d’être détenu seul dans un endroit éloigné sous un régime de haute sécurité. Ces mesures concernent notamment ses possibilités de contact avec le monde extérieur et la nature précise du régime qui lui est appliqué ». Ils ont souligné l’importance de l’accès aux livres, aux journaux et à la radio (qu’il a reçu), et de veiller à ce que sa famille et ses avocats puissent effectivement lui rendre visite comme le règlement le permet. Ils ont demandé diverses améliorations de son régime, telles que l’accès à un meilleur espace extérieur, et ont recommandé que « la possibilité soit étudiée de transférer à İmralı un ou plusieurs autres prisonniers, et que M. Öcalan soit autorisé à s’associer au(x) prisonnier(s) concerné(s) ».

Après leur deuxième visite, en septembre 2001, le CPT a souligné que « les dispositions actuelles, exceptionnelles, relatives à la détention d’Abdullah Öcalan ne peuvent être maintenues indéfiniment ». Ils ont demandé qu’Öcalan ait accès au téléphone et soit autorisé à correspondre en privé avec la Cour européenne des droits de l’Homme et avec son avocat. Ils ont demandé qu’il puisse disposer d’une radio avec accès à un plus grand nombre de chaînes et d’une télévision, et, une fois encore, qu’il ait des contacts avec d’autres prisonniers. La réponse des autorités turques a été « oppositionnelle » sur pratiquement tous les points soulevés.

La troisième visite du CPT, en février 2003, a été déclenchée par des rapports faisant état des difficultés rencontrées par les avocats et la famille d’Öcalan lorsqu’ils tentaient de lui rendre visite. Le règlement de la prison stipule qu’il est autorisé à recevoir une heure de visite par semaine de son avocat et une semaine sur deux de sa famille, mais les visites étaient fréquemment annulées sous prétexte que le temps était trop mauvais pour le bateau désigné ou que celui-ci était en panne. Le CPT a estimé que la situation était inacceptable, et qu’elle était aggravée par l’absence de progrès dans la mise en œuvre de ses autres recommandations visant à améliorer les contacts d’Öcalan avec le monde extérieur. Ils ont demandé qu’un meilleur bateau soit disponible en cas de besoin et qu’il y ait une certaine flexibilité quant aux jours de visite lorsque le temps est mauvais.

Lors de la visite suivante, qui n’a eu lieu qu’en mai 2007, le CPT a constaté qu’Öcalan souffrait d’une nette détérioration de sa santé mentale liée à « une situation de stress chronique et d’isolement social et émotionnel prolongé, associée à un sentiment d’abandon et de déception », et a fait valoir que la seule façon d’inverser cette situation était « un changement fondamental de l’environnement humain du détenu et la fin de son isolement social et émotionnel ». Ils concluent : « Les autorités turques sont maintenant à la croisée des chemins : soit elles ne font aucun changement dans la situation du prisonnier (ce qui est la voie qu’elles ont délibérément et sciemment choisie depuis 1999, avec les conséquences décrites ci-dessus), soit elles prennent la décision de revoir la situation d’Abdullah Öcalan, en lui donnant notamment la possibilité de maintenir des liens sociaux et affectifs fondamentaux ». Et ils ont réitéré leur demande qu’Öcalan soit intégré « dans un environnement où les contacts avec d’autres détenus et un plus large éventail d’activités sont possibles ».

Le rapport observe également que, malgré l’achat d’un nouveau bateau, les visites de la famille et des avocats restent très irrégulières et que, suite à une nouvelle législation adoptée en juin 2005, les entretiens avec ses avocats sont enregistrés et qu’il fait l’objet de nouvelles sanctions disciplinaires, que ses avocats ne sont pas autorisés à contester. Il n’avait toujours pas accès au téléphone, de sorte que, en dehors de ses visites irrégulières, ses seuls contacts avec le monde extérieur étaient trois livres de la bibliothèque, trois journaux censurés (fournis avec des jours ou des semaines de retard) et une radio réglée sur une seule station.

La délégation du CPT a également prélevé des échantillons de cheveux d’Öcalan afin de procéder à leur propre analyse, suite aux rapports de ses avocats selon lesquels il avait été soumis à un empoisonnement progressif. Les experts du CPT n’ont pas été préoccupés par les niveaux de produits chimiques trouvés, mais ils ont recommandé une surveillance continue.

En 2008, frustré par le fait que la Turquie n’avait donné suite à aucune de ses demandes, le CPT a mis en place des procédures pour faire une déclaration publique sur ces questions, à la suite de quoi la Turquie a annoncé son intention de construire un nouveau bloc de détention sur l’île, qui accueillerait également un nombre limité d’autres prisonniers. En novembre 2009, Ocalan a été transféré dans le nouveau bloc avec cinq autres prisonniers, également condamnés à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle, qui ont été transférés sur l’île depuis d’autres prisons.

En janvier 2010, le CPT est venu inspecter les nouvelles installations et dispositions. Ils ont trouvé les cellules bien construites mais dépourvues de lumière naturelle en raison des murs de 7m de haut entourant leurs cours attenantes. Il y avait maintenant d’autres prisonniers sur l’île, mais les activités communes étaient très limitées – du sport occasionnel et une conversation d’une heure par semaine en présence des agents pénitentiaires. Pour Öcalan, ce n’était qu’ »un pas très modeste dans la bonne direction ». Pour les autres prisonniers, c’était un grand pas en arrière par rapport à ce à quoi ils étaient habitués avant de venir à İmralı. Suite aux plaintes du CPT, les autorités ont accepté d’apporter des changements opérationnels pour permettre un peu plus d’heures communes, mais ont toujours refusé à Öcalan un téléphone ou une télévision.

Lors de la visite suivante du CPT, en janvier 2013, Öcalan s’était vu refuser toute visite de son avocat depuis juillet 2011. Les visites familiales, qui étaient censées durer une heure, étaient réduites à 30-45 minutes. Malgré les promesses précédentes, les prisonniers d’İmralı étaient toujours très limités dans le temps qu’ils étaient autorisés à passer ensemble – deux heures de sport, trois heures de conversation, et éventuellement trois heures supplémentaires d’activité que les prisonniers refusaient en protestant contre le fait qu’ils n’étaient autorisés à le faire qu’à deux. En 2011, Öcalan avait été contraint de passer 240 jours à l’isolement – douze sanctions disciplinaires avaient été accumulées puis imposées les unes après les autres. Bien qu’Öcalan ait finalement été autorisé à avoir une télévision, il n’avait toujours pas de téléphone.

Le CPT a attiré l’attention sur la recommandation du Conseil de l’Europe selon laquelle « les détenus condamnés à perpétuité ne devraient pas être séparés des autres détenus au seul motif de leur condamnation », et a demandé aux autorités turques de « reconsidérer leur politique à l’égard des détenus condamnés à la réclusion à perpétuité aggravée… et de modifier la législation en conséquence ».

Lorsqu’une délégation du CPT s’est rendue à İmralı en avril 2016, elle a constaté qu’Öcalan avait bénéficié de plus d’espace en réunissant trois cellules, mais que, malgré les assurances du ministre de la Justice, presque aucun progrès n’avait été fait pour répondre aux recommandations du CPT sur les activités communes et les visites. Pire encore, non seulement Öcalan n’avait toujours pas été autorisé à recevoir la visite de ses avocats, mais depuis le 6 octobre 2014, il n’avait pas non plus été autorisé à recevoir la visite de sa famille. Des visites de député·es ont eu lieu dans le cadre du processus de paix, mais elles ont cessé après le 5 avril 2015. À cette date, il n’y avait plus que trois autres prisonniers sur l’île, en dehors d’Öcalan.

La prochaine visite du CPT à İmralı a eu lieu en mai 2019 alors que des milliers de Kurdes étaient en grève de la faim pour demander la fin de l’isolement d’Öcalan. Le rapport rappelait à la Turquie l’appel toujours sans réponse du CPT à une refonte du régime de détention ; et il notait qu’il n’y avait eu aucune amélioration, depuis leur visite de 2016, de la possibilité pour les prisonniers d’İmarlı à se socialiser, malgré des recommandations explicites. Les quatre prisonniers étaient maintenus à l’isolement 159 heures sur 168 par semaine, et n’étaient autorisés à se parler que pendant les trois heures spécifiquement allouées à la conversation. Le rapport appelle une nouvelle fois la Turquie à  » prendre sans plus tarder des mesures pour que tous les détenus de la prison d’Imralı soient autorisés à se réunir pendant les exercices quotidiens en plein air, ainsi que pendant toutes les autres activités hors cellule « .

Le rapport de 2019 observait que le manque de contact avec le monde extérieur « a fait l’objet d’un dialogue intense de longue date entre le CPT et les autorités turques ». Au moment où il a été écrit – après la mobilisation de kurdes sous forme de grève de la faim – il semblait y avoir de légères améliorations dans les contacts extérieurs – y compris cinq visites des avocats d’Öcalan – mais les améliorations ont rapidement été inversées, et l’isolement est plus complet aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été.

En l’absence totale de contact avec İmralı pendant un an et demi après le bref appel téléphonique entre Öcalan et son frère en mars 2021, les différents groupes concernés ont tenté à plusieurs reprises de persuader le CPT d’effectuer une nouvelle visite. C’est la seule organisation qui peut insister pour le faire et – en dehors de tout le reste – apaiser les craintes récurrentes quant au bien-être d’Öcalan. Le 3 octobre 2022, le CPT a publié une déclaration indiquant qu’il avait effectué une visite fin septembre « afin d’examiner le traitement et les conditions de détention des (quatre) prisonniers actuellement détenus dans l’établissement ». Et « une attention particulière a été portée aux activités collectives proposées aux détenus et à leurs contacts avec le monde extérieur. La publication du rapport final pourrait prendre 12 à 18 mois et pourrait ne pas avoir lieu du tout si la Turquie n’y consent pas. Les avocats d’Öcalan soutiennent qu’étant donné les circonstances de son isolement, le CPT a le devoir de divulguer des informations sur sa sécurité et sa santé.